Le train Bordeaux-La Sauve à Bouliac


Arivée du train Bordeaux- La Sauve en gare de Bouliac en 1911.

Toutes les informations citées sur cette page son extraites de l'excellant ouvrage de Patrice Durbain : Le chemin de fer de l' Entre-deux-Mers (1998).

Les cahiers de Doléances de 1789 nous ont fait connaître le délabrement des chemins et des routes de l' Entre-deux-Mers. La Monarchie de Juillet, en créant un Ministère des Travaux Publics, a mis en place un vaste programme de travaux qui allaient bouleverser la vie économique de cette région.

Un des plus anciens projets élaborés proposait, en 1863, de faire circuler "des locomotives routières" et des wagons à trois roues sur la route Bordeaux-Cadillac de la rive droite. En 1864, l' avant-projet d'un véritable chemin de fer fut proposé ; ses wagons seraient tractés par des chevaux, et sa voie emprunterait les quais de la rive droite et traverserait les palus de Bouliac et de Latresne  pour finalement atteindre Créon. Ce train devait permettre de transporter les lourdes pierres des carrières d' Espiet et de Daignac. Ce projet économique, à cause de la traction animale, ne fut pas retenu, en raison certainement de la lenteur de cette traction. En 1865, une étude fut lancée pour la création d'une ligne reliant Bordeaux et Sainte-Foy-La-Grande, mais cet ambitieux projet fut rapidement abandonné; En 1866, un projet plus modeste fut proposé : une ligne partant de  La Bastide, traversant les palus de Bouliac et Latresne aboutissant à Créon en traversant les villages de Citon-Cénac, Lignan et Sadirac. Le Préfet de la gironde demanda aux communes concernées de verser une subvention. La commune de Bouliac, qui avait à sa charge l'entretien couteux du chemin des Collines  servant au transport des pierres, déclara avoir "investi toutes ses ressources dans la construction de la maison commune et à la réfection des chemins vicinaux qui servent aux exploitants des carrières". Le dernier rapport (25 août 1867)  concernant les participations communales  indique : seize communes ont refusé sur trente cinq consultées, quatre n'ont pas répondu, les autres ont promis des subventions sous certaines conditions. seulement quatre communes ont accepté de verser une subvention sans condition.

Des difficultés surgirent concernant le tracé de la voie : les rails sur les quais Deschamps, les quais de La Souys et le chemin de halage firent naître de vigoureuses protestations : sécurité des personnes, besoin de libre navigation fluviale, desserte des propriétés, destruction d'une des plus belles promenades proches de Bordeaux. Pour Bouliac, les difficultés furent soulevées par le grand propriétaire  Exshaw qui avait sa résidence aux Collines. Il souligna que ce projet "réduit considérablement les plus belles allées de Bordeaux, mais aussi pénalisera l'usage de cette route aux habitants de Floirac, Bouliac, Carignan, Latresne, Camblanes et Quinsac, et d'autre part rendra impossible l'accès en voiture à certaines propriétés qui n'ont d'autres issues que le chemin vicinal en bord de Garonne". M. Lawton, propriétaire à Floirac, appuya cette protestation.

Finalement, le passage de la ligne sur l'accotement du chemin vicinal, établi sur la digue de la Garonne et sur la gauche du chemin de halage, fut refusé. Il fut aussi décidé que les propriétaires des terrains de la Garonne riverains bénéficieraient de la construction d'une route en échange de l'abandon gratuit de leur part de terrain.

Cette petite ligne fut déclarée d'utilité publique le 1er mai 1869 et le département autorisé à procéder à son exécution. Mais la guerre de 1870 bloqua cette construction. Le projet réapparut  le 30 juin 1871. Le 29 mai 1872, le projet d'implantation des gares et des stations fut adopté, les travaux pouvaient commencer.

La ligne fut inaugurée le 15 mai 1873, le service des voyageurs devant commencer le lendemain. "Sur tout le parcours, à chaque gare, les populations avaient accouru pour saluer le premier train ... Après un arrêt de quelques minutes à chaque station, où chaque maire des communes traversées était invité à monter tandis que le Cardinal Donnet prenait le temps de bénir les bâtiments, le train s'arrêtait une heure après le départ de La Sauve, sous un arc de triomphe où il était salué par des salves d'artillerie" (La Gironde, 16 mai 1873).

La ligne, d'une longueur de 27 kilomètres , était à voie unique avec 89 passages à niveau pour une circulation à la vitesse de 25 à 35 km/h. Son premier accident grave eu lieu le 15 février 1873 à Citon-Cénac : Antoine Vaysse, originaire du Cantal, fut écrasé par imprudence .

La halte de Bouliac (située sur la limite Bouliac-Latresne) fut construite sur le chemin de la Matte en raison d'une estimation du service des voyageurs et des marchandises qui favorisait cet emplacement. Elle avait une double voie, un bâtiment pour le chef de halte et l'accueil des voyageurs, et un quai d'embarquement pour les vins.

Cette ligne connut un succès immédiat en raison de la régularité de ses horaires, du confort de voitures, de l'importance de la masse des produits transportés (vins, bois de chauffage, pierres) mais les frais d'exploitation étaient très élevés ce qui conduisit à la dissolution de la Société Anonyme du chemin de fer de Bordeaux à La Sauve le 22 juin 1874.

Trois ans plus tard, la situation se dégrade !
Sur le document ci-dessus on peut lire le nombre de voyageurs enregistrés par la gare de Bouliac : 4 085 en 1874 pour 3 000 en 1877, les recettes correspondantes étant 1 681 et 1 230,50 F.
Au total, pour la ligne :112 855 voyageurs en 1874 pour 120 299 en 1877.

La ligne passe sous le contrôle de l' Etat le 1er juillet 1878. Entre 1879 et 1883, pendant l'exploitation de la ligne par l'Etat, le tonnage véhiculé est en progression jusqu'en 1882 : 38 000 tonnes en 1878, 44 200 tonnes en 1879,  62 600 tonnes en 1881, 73 600 tonnes en 1882 et 58 800 tonnes en 1883.
En 1883, la gare de Bouliac a expédié 10 773 voyageurs ( !) peut-être en raison d'une main d'oeuvre journalière transportée vers Bordeaux.

La ligne atteignit son apogée en 1914 car la guerre 1914-1918 brisa le développement de l'Entre-deux-Mers et à partir de 1928 la concurrence du camionnage grâce à l' utilisation du moteur Diésel et des pneus à chambre à air accentua le  déclin de la ligne.

La seconde guerre mondiale et la mise en place de deux compagnies d'autobus portèrent le coup de grâce : l'unique train de la ligne  disparut en 1951 pour les voyageurs. En 1972, la ligne fonctionnait jusqu'à Espiet où fonctionnait encore la cimenterie. Ce tronçon La Souys-Espiet fonctionna jusqu'en 1979 et fut déferré en 1994.

En 1996, le Conseil Général de la Gironde racheta l'emprise ferroviaire et transforma la ligne en piste cyclable.

Le premier accident de passage à niveau à Bouliac

L'abbé Eugène Pareau, auteur de Bouliac au XIXeme siècle, raconte cet accident tragique en ces termes :

"Le 18 août 1879 à 8h 1/4 du matin, Pierre Maney, venant de Pessac, lieu de sa résidence, charger de la pierre aux carrières de La Tresne, fut surpris par le train, au passage à niveau. Ce pauvre homme, dont l'unique dieu était le travail et qui donnait à ce dieu terrible, sans entrailles, les semaines, les dimanches et les fêtes, les nuits et les jours, dormait étendu sur sa charrette. Sous le choc, le lourd véhicule se brisa, se broya, fut réduit en miettes, les deux chevaux qui avaient juste dépassé la ligne ferrée restèrent intacts, mais le malheureux conducteur, projeté au milieu des débris, eut littéralement la tête tranchée et lancée à 15 mètres du tronc."
Quelques années plus tard, un autre accident tragique allait se produire au passage à niveau du chemin de Vimeney.