Le tramway Bordeaux-Cadillac

Ce n'est pas lui...mais il lui ressemble comme deux goutte d'eau !

	Voici la B39, seule voiture de voyageurs, après restauration, que l'on peut encore voir au Musée des Tramways à Vapeur de Butry (Val d'Oise).
Voici une des treize locomotives qui traversait Bouliac jusqu'en 1935. Six d'entre elles portaient les noms des cours d'eau du trajet : Pimpine, Euille, Gaillardon, Artolie, Laubès et Garonne.	Trente-deux voitures ont circulé sur la ligne Bordeaux -Cadillac. Elles étaient à essieux parallèles pour voies métriques.

le 14 mai 1882, le tramway Bordeaux-Cadillac apparaît dans les délibérations du conseil. Une lettre de "Monsieur le constructeur du chemin de fer sur Route" présente un projet de chemin de fer de Bordeaux à Cadillac. Le conseil donne un avis favorable "mais à condition que le chemin de fer passera au pied de la côte de Bouliac" et souligne qu'il ne pourra accorder aucune subvention à cette construction.

Le 5 juillet 1891, le maire lit au conseil une lettre  du préfet concernant l'ouverture d'une enquête sur un avant-projet présenté par M. Faugère, ingénieur, en vue de l'établissement d'un tramway à traction mécanique de Bordeaux à Cadillac. Le conseil approuve la voie projetée mais fait remarquer que cette voie devrait suivre le chemin de grande communication n° 110 (notre D110 actuelle), qu'une station devrait être faite au village du Marais "attendu que si cette station n'était pas aussi rapprochée que possible du bourg elle serait sans aucune utilité pour la commune déjà desservie par les Gondoles et les Hirondelles."

Le 29 novembre 1891, le Conseil lit une pétition "signée de tous les chefs de ménage de la commune" dans laquelle on trouve des informations intéressantes relatives à la circulation dans la commune: (1)" la gare du chemin de fer de la Sauve est dans La Tresne"   (2) "le ponton des Gondoles est à une distance considérable du village"   (3) "on n'ose plus se risquer dans une mauvaise voiture dont le service est à la fois irrégulier, dérisoire et dangereux"  4) les bouliacais "sont en relation constante avec la cité voisine." S'appuyant sur ces constats jugés parfaitement légitimes, le Conseil demande que les tramways qui s'arrêtent à La Souys-Floirac poursuivent leur trajet jusqu'au village du Marais et, si ce n'est pas possible , jusqu'au Pont de Bouliac.

Le tramway Bordeaux-Cadillac  entra en service en avril 1897 et connut aussitôt un succès considérable : 364 982 voyageurs soit pratiquement 1000 voyageurs par jour. Le pic d'utilisation fut atteint en 1902 avec 494 949 voyageurs.

 Environ 15 millions de voyageurs furent transportées durant les 37 années de service du Tramway.

Si on prend l'année 1898 comme référence, on obtient les indices de fréquentation suivants :

On constate une fréquentation importante jusqu'au début de la guerre (indice 125 en 1913) puis une baisse considérable pendant la guerre (indice 98 en 1915), puis une reprise suivie d'une baisse continue de 1927 à 1934.
Un service de bus, créé en 1933, le condamna à disparaître ... et la ligne fut supprimée le 30  juin 1935.
Les 30,389 km du voyage Bordeaux-Cadillac,  demandaient deux heures environ, à la vitesse de de 30 km/h, avec 17 arrêts obligatoires et 7 arrêts facultatifs.
Dans une semaine, on pouvait utiliser cinq trains quotidiens  avec, pour les dimanches et fêtes, des trains à horaires spécifiques dont le fameux "train des théatres" (train n°2) qui partait de Bordeaux à 0 h 30 et ramenait les amateurs de spectacles bordelais dans leurs communes de l'Entre-deux-Mers.

Les horaires détaillés, pour l'année 1931, permettent de connaître les arrêts de la ligne. En ce qui concerne Bouliac, notre commune possédait deux arrêts  : Vimeney, arrêt facultatif, et Les Collines, arrêt obligatoire. On constate que "le train des théatres" atteignait l'arrêt de Vimeney à 0h 43 ( soit 5 mn après son départ de Bordeaux) et l'arrêt des Collines à 0h 47( soit 9 mn après avoir quitté Bordeaux).
Aujourd'hui, on va moins vite !!! Mais à l'époque, il fallait gagner le bourg à pied par le chemin de Vimeney et la côte, ou par le chemin des Collines et le chemin de Salles, en pleine nuit ! Je suis sûr que les bouliacais devaient être peu nombreux dans le train des théatres !

Au printemps, le "train des poids" transportait la récolte de petits poids de l'Entre-deux-Mers qui était ensuite emmenée au marché des Capucins.

Ce tramway a rendu beaucoup de services à toutes les communes traversées mais il a donné lieu à de nombreuses critiques comme en témoignent les extraits suivant issus des archives de la commune de Paillet (Texte tiré du site t.b.c.free.fr) :

Le 30 novembre 1916 le Conseil Municipal proteste sur la majoration des tarifs du Tram de Cadillac, absolument inopportune et injustifiée.
"De 1897 à 1914, la société à réalisé de superbes bénéfices. En 1914, elle a augmenté ses prix d'un dixième. En 1916, elle supprime des trains, n'éclaire pas les wagons, ne donne pas de bouillotes, n'a qu'un personnel réduit et augmente ses tarifs de 40%, rien que ça, en une seule fois !"
Et des retards de 20 à 40 mn...
"Comment admettre qu'un train devant normalement partir de Cadillac à 5 h n'arrive à Paillet qu'à 6 heures et quart pour faire 6 km !!! Un tram qui fait la plus grande partie de son trajet sur la voie publique ! C'est nous qui lui fournissons le passage gratuitement, de plus la plupart des communes se sont imposées pour la construction des gares. On semble trop l'avoir oublié."
Paillet ne l'a pas oublié et invite le Préfet à rappeler à l'ordre la Société du Tram.

[...]

Le 24 octobre 1931, vives protestations du conseil sur l'augmentation des tarifs du Tram de Cadillac. Il est vrai que la concurrence est établie depuis que la commune a autorisé en 1927 le transport automobile des voyageurs et des marchandises par un certain monsieur Laporte. Le Conseil Municipal peut donc établir des comparaisons, souhaitant une réorganisation des trams : qu'ils soient plus légers, plus nombreux, plus confortables, mieux éclairés ; une amélioration des tronçons de voies qui, dans l'état actuel ont causé de nombreux accidents et sont de plus en plus dangereux pour une circulation de plus en plus intense.

[...]

Dès décembre 1932, la Préfecture lance une enquête pour préparer le déclassement du tramway Bordeaux-Cadillac. Celui-ci impose au département des charges financières sans rapport avec les avantages que ce moyen de transport procure aux populations desservies. Le Conseil Municipal se rangera à l'avis du Conseil Général mais désire que ce déclassement se fasse progressivement afin de ne pas priver la population d'un mode de transport qu'elle utilise depuis 1897.

 

Aujourd'hui il ne reste que 7 gares (Latresne, Camblanes, Esconac, Tabanac-Rouquey, Le Tourne, Lestiac et Paillet) sur les 14 d'origine.

L'agrandissement suivant permet de lire les arrêts obligatoires et facultatifs, les distances inter-arrêts et les horaires pour une semaine à partir du 1^er mai 1931.

(a) Les arrêts facultatifs permettent de prendre les voyageurs qui font signe au mécanicien d'arrêter et laisser ceux qui ont prévenu le conducteur à la station ou halte précédente.
(b) A ce train n° 2, seule la gare de Bordeaux est ouverte aux voyageurs.
(c) Seuls sont considérés comme jour de fête: le 1^er janvier,le lundi de Pâques, l'Ascencion, le lundi de Pentecôte, le 14 juillet, l'Assomption, la Toussaint, le
11 novembre et le jour de Noël.

La carte ci-contre permet de suivre le voyageur dans un voyage imaginaire en 1900, au mois d'août 1 -Gare terminus de la ligne du tramway Bordeaux-Cadillac 2- Halte de Bordeaux-Passerelle 3- La Passerelle-quai 4- La station de Monte-Cristo 5- L'arrêt facultatif de Vimeney 6- La station des Collines 7- L'arrêt facultatif de La Seleyre

Voyage imaginaire de Bordeaux à Bouliac en 1900, au mois d'août
Venant du pont de Pierre , pour aller prendre le tramway Bordeaux-Cadillac, le voyageur passe devant la Gare de l'Etat.

La gare du tramway se trouve à droite de la gare de l'Etat qui sera désaffectée en 1939. Actuellement, c'est la caserne des pompiers qui se dresse là. Il est 15 h 45, il fait chaud, le temps est orageux mais les deux promeneurs portent costume sombre, cravate, ils vont traverser la voie du tramway qui s'engage dans la rue de la Benauge pour atteindre son terminus au passage à niveau de la Benauge, où passent les trains de la ligne Bordeaux-Paris.

L'élégante gare de l'Etat avec sa grande verrière et sa structure de fer et de briques. Sa construction  fut achevée en 1896. Au fond, à gauche, on aperçoit le grand café situé à l'angle de la rue de la Benauge.

	Le voyageur arrive devant la belle  gare du tramway, il ne peut pas se tromper, son nom est gravé dans la pierre du fronton. La ligne avait été créée en 1890, mais la gare ne fut construite qu'en 1897. D'autres voyageurs se dirigent vers la porte d'entrée, un homme attend avec son vélo, près d'un chariot. Deux chevaux patientent... Le voyageur ne se presse pas, le train n°16 partira à 18  heures.

Il est 18 heures à la grosse horloge. Coup de sifflet, jet de vapeur, le convoi s'ébranle, roule vers la halte de Bordeaux-Passerelle dans la rue de Tregey.
Il est 18 heures 3 minutes, le train ralentit et s'immobilise dans un hoquet accompagné d'un jet de vapeur. Une voyageuse, qui a fait signe de stopper au conducteur, se hisse péniblement dans le wagon.
Elle fut inaugurée le 15 mai 1873 et se prolongeait par une petite gare maritime au bord de la Garonne. En 1892, elle cessa d'accueillir les voyageurs mais continua à fonctionner comme gare de marchandises, jusqu'en 1960, bien après la "mort" du tramway.
Nouveau départ...par une large courbe le tramway longe , sur 200 mètres, la ligne Bordeaux-Paris, passe sous la Passerelle Eiffel construite entre 1858 et 1860, s'arrête devant l'ancienne  gare terminus du train Bordeaux-La Sauve , la Passerelle-quai . Il est 18 heures 4 minutes, nous avons parcouru 1400 mètres !
Le tramway, maintenant, avance à la vitesse de 30 km/h en suivant la rive droite de la Garonne ombragée sur ses deux côtés. De l'autre côté du fleuve, la flèche Saint Michel se dresse.
 Sur sa droite, le voyageur, étonné, pose son regard sur un groupe de tirailleurs marocains faisant leur lessive...

...et sur des tirailleurs algériens, eux aussi jouant les lavandières !!! Coup de sifflet, le tramway approche de l'arrêt obligatoire de Monte-Cristo.

Le voyageur se penche à la portière et voit la flèche Saint -Michel, la passerelle Eiffel et les rails du tramway qui épousent la courbe du quai de La Souys.

Le tramway s'arrête à Monte-Cristo, en face de la rue Jules Guesde qui conduit au passage à niveau du train de Bordeaux-La Sauve, puis, un peu plus loin , à la mairie de Floirac. Il est 18 heures 18 minutes. Dix minutes pour parcourir 2,5 km, soit une moyenne horaire de 15 km, calcule le voyageur. Le voyageur se demande pourquoi cette station porte le nom de Monte-Cristo... il ne le saura jamais ! Plus tard, un bar occupera l'angle à droite, où somnole le chien qui n'a pas été troublé par l'arrivée du convoi cahotant et crachant la vapeur. Ce bar vivra jusqu'aux années 2000 puis sera détruit pour laisser la place à des immeubles ... Adieu Monte-Cristo ! Le tramway repart dans un tremblement accompagné d'un coup de sifflet déchirant, comme un cri de détresse... et roule maintenant, toujours sous les arbres de la berge, vers Bouliac.

Sur sa gauche, le voyageur voit des terres gorgées d'eau , envahies de roseaux; et tout au loin, l'église de Bouliac perchée sur sa colline, comme une sentinelle scrutant les marais, le fleuve et, beaucoup plus loin, les Landes. Par la fenêtre de droite, il aperçoit la berge de Bègles, avec son ponton en croissant de lune pour embarquer dans les gondoles, les barques affalées dans le limon jaune et crémeux, des chevaux qui prennent leur bain. Le voyageur ne sait pas que, un siècle plus tard, cette berge aura disparu sous la voie rapide qui conduit du pont Mitterrand au centre de Bordeaux Il est 18 h 13, le tramway siffle, il approche de l'arrêt facultatif du chemin de Vimeney, continue son voyage cahotant vers la halte des Collines, après avoir parcouru 3,5 km Le voyageur ne sait pas que, un siècle plus tard, le chemin de Vimeney sera coupé par la voie rapide qui file vers Paris en suivant le vallon qui sépare Floirac de Bouliac et que le chemin de Vimeney perdra son nom pour devenir Rue de la Gabarre.

Il est 18h 17. Près des rails, un homme agite la main, coup de sifflet, grincement des freins, le tramway s'arrête. L'homme monte dans le wagon, le voyageur saute sur les cailloux. Le conducteur, la tête à la lucarne de sa machine, agite la main , donne un coup de sifflet prolongé et la machine s'ébranle poussivement...
Le voyageur reste là, immobile, se tourne vers l'ile d'Arcins, vers Bordeaux, vers les maisons du Port des collines. Il voit le tramway qui, ayant quitté la rive, se dirige vers la colline et roule vers la voie ferrée du train Bordeaux-La Sauve qu'il rejoindra et longera jusqu'à la gare de Latresne. Là, les deux amis se sépareront: le train filera vers La Sauve et le tramway vers Cadillac.
Le voyageur avance vers la colline, il voit l'église dans l'axe du chemin et, sur sa droite le panache de fumée du tramway qui siffle en arrivant à l'arrêt facultatif de La Seleyre dont la gare, dans la commune de Latresne, se trouve à l'intersection du chemin de la Matte et de la voie ferrée.

Le voyageur ne sait pas, qu'un siècle plus tard, le chemin des Collines perdra son nom pour devenir Impasse des Berges, sur ses deux cents derniers mètres, à l'endroit où il sera coupé par la voie rapide Bouliac-Latresne.

Le voyageur arrive à l'auberge du Marais, s'engage dans le sentier de L'Ermitage après avoir traversé la route Floirac-Latresne, monte par les escaliers vers l'église...

Le voyageur ne sait pas, qu'après la guerre,  l'auberge du Marais deviendra "Le Bikini", pendant des années, sans qu'on sache à quoi il fallait penser: au maillot de bain ou à l'atoll célèbre, et que plus tard, elle redeviendra auberge du Marais.

Le voyageur, essoufflé par l'escalade du coteau, débouche sur la place Chevelaure et... il sait que sur cette place se dressait, 50 ans plus tôt, une des  tours  du télégraphe optique de Chappe !

"Ô mieux aimée, c'est une autre histoire" dirait Kipling !

Je me souviens...dit Paulette Rambaud-Pavin

 avoir pris ce tramway, vers 1930, pour accompagner ma grand-mère maternelle Bellocq qui habitait chemin de la Matte. Elle allait, chaque mois, à Bordeaux pour ramener les pièces de lingerie, qu' une boutique lui avait confiées, pour les coudre et les broder.  Cette boutique de confection se trouvait à l'angle de la rue Saint Rémi et Sainte Catherine, à l'entrée des Galeries Bordelaises. Ce travail très délicat lui rapportait un peu d'argent. En descendant du tramway, je me souviens avoir traversé la Garonne dans une gondole qui accostait à la place des Quinconces.

Je me souviens...
Michel Laborde, le Coteau

... mes parents m'ont indiqué la manière de signaler avec un journal enflammé leur présence à l'arrêt du chemin Vimeney pour le train de Cadillac.

Je me souviens...d'après Jean Balde

Jean Balde (de son vrai nom Jeanne Marie Bernarde Alleman) est un écrivain bordelais né à la fin du XIXeme siècle (née le 14 mars 1885 à Bordeaux, morte le 8 mai 1938 à Latresne). Elle a écrit une vingtaine d'ouvrages, la plupart consacrés à l'Aquitaine. Dans La Maison au bord du fleuve elle évoque la vie bordelaise et celle de la région girondine. Elle a bien connu le tramway Bordeaux-Cadillac comme le montre les extraits suivant  où flotte la mélancolie des choses disparues:

"Pendant seize ans, ma vie s'est usée entre Bordeaux et La Tresne en allées et venues presque quotidiennes. L'hiver, je partais souvent dans la nuit noire. Sur le quai de la gare, on attendait le petit train poussif, astucieusement baptisé "tramway de Cadillac" - sans doute pour décrocher l'autorisation de passer sur la route - je regardais monter une aube mouillée derrière les ramures du château La Tresne. Quand je débarquais à La Bastide, les commerçants ouvraient leurs volets. Le soir, après la journée de cours, traversant le pont, mes yeux se reposaient sur le fleuve scintillant des feux des bateaux. Les retours nocturnes sur la route déserte ne m'effrayaient pas. Il y avait de beaux soirs d'hiver où la lune brillait comme un quartier de glace sur les peupliers. Une lampe étoilait dans l'ombre notre Casin et je respirais l'odeur de la terre grasse".

Le pylône et la maison - 1936 (extrait 1)
Sur le quai enduit d'une boue grasse et luisant de pluie, elle attendait longtemps le tramway. A cette heure tardive, les grandes voitures jaunes débordaient de grappes humaines. Alors, elle partait à pied, tournait au pont, regardait les feux du port trembler sur l'eau noire, et se jetait, exténuée, dans le tortillard. Pauvre petit train asthmatique, crachant la fumée à grand bruit, comme pour se donner de l'importance, et ferraillant la nuit dans les vignes ! On n'était pas arrivé à la passerelle que les lumignons troubles s'éteignaient par soubresauts, en clignant de l'oeil. Les bouillotes laissaient fuir une eau tiède sous les banquettes. Quand Jeanne débarquait enfin, à la petite gare, il lui fallait marcher souvent sous la pluie plus d'une demi-heure. Mais elle reconnaissait dans l'obscurité l'haleine pure et fraîche de la campagne.

Le pylône et la maison - 1936 (extrait 2)
Après le phylloxera, ces pièces de vignes marquées par un pointillé avaient fait place à des prairies. Deux fois déjà, des expropriations avaient dépecé la terre acquise et gardée avec tant de peine. Mais qu'était le passage du chemin de fer à côté de celui des lignes électriques ? Les voies ferrées ne gâchent pas le paysage. Elles ne portent pas avec elles la menace d'une mort foudroyante.
Le P.O. d'abord avait traversé la propriété. Puis un tortillard démommé "Tramway", sans doute pour obtenir l'autorisation de lancer sur les routes ses chétifs wagons.
Combien de temps ce petit train essoufflé avait-il menacé les enfants sur le pas des portes ? A peine trente ans ! Ce qui a été "saboté" ne dure pas. Le bon sens bafoué reprend son droit. Sa victoire finale fait table rase des initiatives avortées. Non que ledit "tramway" - cauchemar des mères - n'eût pas rendu des services! ! Mais par qu'elle aberration ou qu'elle folie l'avait-on autorisé à cahoter ses voitures jusque dans les villages au seuil des maisons ? Passage à niveaux, trains sur les routes, tout cela disparaît peu à peu ! Combien a-t-il fallu de victimes, de vies sacrifiées, d'autos broyées, pour que la réaction se dessinât ? Toutes ces fausses couches industrielles encombrent le pays d'un matériel destiné à disparaître.
 

Je me souviens...d'après un auteur inconnu
Texte tiré du site t.b.c.free.fr

Méritent aussi une mention les Kb, ces wagons de marchandises couverts, spécialement aménagés pour recevoir des bancs de jardin et utilisés pour le transport des passagers en cas d'affluence considérable, notamment les lundis de Pâques et de Pentecôte, ou les jours de courses de chevaux à Cadillac. Et le fourgon, domaine du chef de train, partagé d'ailleurs avec le convoyeur des postes. Le chef de train... Ce cheminot me semblait un véritable acrobate. Ses fonctions ne lui imposaient-elles pas l'obligation assez périlleuse de sauter de marchepied en marchepied, d'une voiture à l'autre, pendant que roulait le train, pour aller délivrer des billets aux voyageurs montés à un arrêt facultatif ? Quelques mots pour le postier, un peu à l'étroit dans le minuscule compartiment qu'il occupait à l'extrémité du fourgon ; personnage sympathique, assailli aux arrêts par des riverains de la ligne accourus au passage du train pour lui confier leur courrier. Il lui arriva, en cas de déraillement, d'être enseveli sous les sacs de dépêches, heureusement sans trop de mal.
Je n'ai pas oublié le son de la trompe à air qui, jusque vers 1910, servit d'avertisseur au mécanicien ; ni celui du sifflet et de la cloche qui lui furent alors substitué ; le premier utilisé en pleine campagne ; le second dans la traversé des villages.
Trompe ou sifflet, suivant l'époque, venait parfois troubler le sommeil : c'était dans la nuit du dimanche au lundi l'arrivée du "train des théâtres", ou, au printemps, mais à une heure moins tardive, le passage du "tramway des pois". Le "tramway des pois", comment écrire ces mots sans évoquer les marchés tenus aux abords de la gare de Cadillac et d'autres stations de la ligne, presque à la tombée de la nuit. Un convoi spécial, formé chaque soir, à la saison, emportait vers Bordeaux une des primeurs renommées de région.
Je n'en finirais pas de rappeler des souvenirs de jeunesse en relation avec le défunt tramway : passage, en 1905, du train remorqué par une locomotive pavoisée, amenant à Cadillac le ministre de l'Agriculture Ruault pour l'inauguration du puits artésien et de la distribution d'eau potable de la ville ; plus tard, départs de Bordeaux le samedi vers mon village natal Béguey et retour le lundi vers le lycée, dans un enthousiasme mitigé, par le train quittant Cadillac vers 5h30.
C'est dans ce convoi matinal que, le 29 juin 1914, j'appris l'attentat de Sarajevo par les journaux apportés en gare de Baurech par le train "croiseur", et je n'ai pas oublié la prédiction de mes compagnons de voyage, élève du "petit lycée" de Talence, mon aîné de trois ans, sur les funestes conséquences probables pour l'Europe entière de l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand...
Et le lundi 3 août suivant, en gare de Cadillac, j'assistai au départ des réservistes, dans un magnifique enthousiasme, réel ou apparent, que nous n'avons pas connu, en pareille circonstance, vingt-cinq ans plus tard ! ...
Dans le train du matin, je "repassais" (ou, hélas ! Ouvrier de la dernière heure j'étudiais) souvent mes leçons à la lueur de l'acétylène, qui avait de bonne heure remplacé les primitives lanternes à pétrole. Il m'est même arrivé d'essayer de lire éclairé par une bougie... Mais oui, pendant la guerre de 1914, un bout de bougie fixé sur le bec de gaz défaillant assura à certain moment l'éclairage des voitures. Pour empêcher, sans doute, la stéarine de s'accumuler au fond du globe de verre et de le rendre opaque, on eut alors l'idée de percer ce dernier d'un trou circulaire, ce qui n'était pas sans danger pour les vêtements des voyageurs. On dut bientôt d'ailleurs remettre en service les vieilles lanternes à pétrole placées extérieurement à chaque extrémité des voitures et éclairant l'intérieur par une ouverture pratiqué dans la paroi ! Enfin, quelque temps après la fin des hostilités, fut heureusement installé l'éclairage électrique, avec dynamo placée sous le fourgon.
 

Je me souviens...d'après André Berry
Texte tiré du site t.b.c.free.fr
Poète né le 1er Août 1902 à Bordeaux et mort le 7 octobre 1986 à Paris. Il résida souvent à Quinsac, dont il fut le citoyen d'honneur dès 1955, et où il fut enterré le 13 octobre 1986.

Lai du train de Cadillac
(Fragment)