Les élections : maires et conseillers municipaux
La commune est apparue progressivement en France, mais ce n’est qu’en 1790 qu’un statut de la commune est fixé avec précision. . La naissance du mouvement communal remonte au XIe siècle. La vie dans la commune va ainsi devoir s’organiser. Au XIIe siècle, le maire fait son apparition. En effet, dès lors que la commune était reconnue juridiquement et politiquement, il lui restait à se doter d’organes pour la représenter. Selon l’époque et les lieux, on parlera de pairs, d’échevins ou de conseillers.
I. UNE FONCTION DUALE :
Dès l'apparition de la fonction, et avec la Révolution française, le maire s'est vu confier une double fonction. Outre celle de gérer sa commune, le maire a eu pour tâche première de représenter au mieux les intérêts de l'Etat. Cette dualité de la fonction s'est perpétuée au fil des régimes et existe encore aujourd'hui.
A- Le maire, agent de l'Etat :
Cette fonction d'agent de l'Etat est allée de pair avec la laïcisation de
l'Etat. Sous l'Ancien Régime, le maire avait pour tâche de lever les impôts dûs
au seigneur et à l'Etat, ainsi que d'organiser les corvées. Avec la Constitution
Civile du Clergé, promulguée le 12 juillet 1790, le maire se voit confier des
attributions qui jusque là relevaient du curé. Mais c'est la loi du 22 pluviôse
an VIII, complétée par l'arrêté du 2 pluviôse an IX, qui donne à la fonction de
maire sa définition moderne et lui confère son originalité. Pendant près de 3/4
de siècles, le maire va être considéré presque exclusivement comme un agent du
pouvoir central.
1. L'état civil :
Il revenait en effet au curé de recenser les naissances, les décès et les mariages dans la paroisse. Ceci s'expliquait par le fait que sous l'Ancien Régime, tous ces événements se déroulaient à l'église. Le 20 septembre 1792, la Convention tire une conséquence pratique de sa lutte contre le clergé réfractaire. L’état civil sera désormais tenu par les corps municipaux. La décision est d’importance pour la laïcisation de la société française. Ainsi à Bondues dans le Nord, en novembre 1792, les électeurs votent pour le renouvellement des municipalités. Le bureau de vote n’est plus l’église, comme c’était la tradition, mais un cabaret…
Le maire est sous l'autorité du Procureur de la République. Il ne peut se soustraire à la tenue de l'état civil, et ne peut refuser de délivrer des actes demandés par les citoyens, résidant ou non dans sa commune. Officier d'état civil, il reçoit donc les naissances et les décès, il célèbre les mariages. Il a aussi obligation d'information par rapport aux administrations d'Etat.
Le maire va devenir un grand " certificateur " ( Jocelyne George ). Il délivre notamment le certificat de civisme, nécessaire pour briguer une place dans l’administration. Il accorde des attestations telles le certificat d'indigence pour être dispensé d’imposition…
2. Le maire et les élections :
Le maire est en charge de l'établissement des listes électorales. La tâche s'est développée avec la proclamation du suffrage universel. Le maire enregistrant tous les changements dans la commune, c'est à lui de recenser les électeurs. Les listes sont donc révisées chaque année par une commission composée du maire, de délégués du préfet et du Président du Tribunal de Grande Instance.
Le maire veille également à l'organisation du scrutin, tant du point de vue matériel ( tables, urnes, isoloirs ), que du point de vue de la constitution du bureau ( présidents et assesseurs). Il veille à ce que le vote s'effectue dans le calme et la sérénité. Jusqu'au milieu de la IIIe République, ces notions resteront relatives. Les enveloppes ne sont pas obligatoires sous l'Empire et seul le bulletin de vote du candidat officiel est blanc, ce qui permet au maire de connaître le vote de chaque citoyen.
Aux débuts de la IIIe République, le scrutin dure deux jours. Pendant la nuit, c'est le maire seul qui surveille l'urne. Les Républicains y voient une atteinte portée à la sincérité du vote par les monarchistes qui dominaient l'Assemblée à cette époque et qui donc avaient voté cette loi sur la durée du scrutin. Les citoyens désireux de voter pour des candidats républicains étaient donc invités à ne voter que le deuxième jour, afin de limiter la "tricherie".
3. Le Service national :
C’est en 1793 que la fonction du maire va s’étendre au domaine militaire. Les maires doivent fournir en hommes, en matériel, et en vivres, recenser les soldats, les mobiliser. Le 12 janvier 1798, le Directoire adopte le service militaire obligatoire. A chaque mobilisation de soldats, le maire doit organiser une cérémonie solennelle de départ. En 1802, le Maire doit assister au tirage au sort des conscrits. S’il est absent, il est sanctionné.
Exemptions et remplacements dépendent de lui. Très nombreux vont être les maires destitués pour avoir voulu épargner la guerre à certains jeunes gens. Des actes de décès sont surchargés, des registres de l’état civil disparaissent, invention de maladies graves ( comme l’épilepsie ), indispensable maintien dans la commune. Tout y passe. En 1803, un sous-préfet du département du Nord écrivait que plusieurs maires de son arrondissement lui avaient envoyé leur démission "motivée par les tracasseries et les embarras que leur occasionnent la poursuite et l'arrestation des conscrits réfractaires". Face à la conscription, le maire est entre le marteau et l’enclume, entre l’Etat et ses administrés. Aussi le 22 décembre1804, un arrêté les rend responsables des réfractaires et des déserteurs de la commune.
Le recensement : Le maire reçoit les demandes de recensement des jeunes de 17 ans. Quand un jeune ne se fait pas recenser spontanément, le maire de son lieu de naissance le recense d'office. Le maire dresse ensuite une liste communale de recensement et la transmet au préfet pour vérification. Celle-ci terminée, le préfet l'expédie au bureau régional du service national. Le maire enregistre et transmet au préfet les demandes de dispense. Le préfet instruit le dossier, donne son avis et c'est à la commission régionale du service militaire que revient le soin de trancher.
4. Les pouvoirs de police du maire :
L'Etat révolutionnaire a voulu un maire assez puissant, indépendant par rapport au conseil municipal. Il lui a donc rapidement confié des pouvoirs de police. Ces pouvoirs bénéficient d'un champ d'application très vaste. Ainsi, au nom de l’application de tels pouvoirs, des maires ont pu prendre des mesures pour lutter contre la peste ( Montaigne à Bordeaux) ou à Rouen contre les " querelleuses et les médisantes ". Ce qui doit guider le maire dans l'application de ces pouvoirs de police se résume en trois mots, inscrits dans la loi du 14 décembre 1789 : "salubrité, propriété et tranquillité ". Ces pouvoirs s'appliquent par exemple pour la voirie, le stationnement, les manifestations, les bals, les débits de boissons... avec le progrès, d'autres notions sont venues s'ajouter à cette définition. Ainsi le maire peut interdire l'exercice de certaines professions sur la voie publique (photographes), voire la célébration de certaines manifestations portant atteinte à la dignité humaine ( le lancé de nains ). A Paris, les pouvoirs de police sont confiés au préfet de police.
Représentant de l'Etat devant ses administrés, le maire est aussi le chef de l'administration communale.
B. Le Chef de l'administration communale :
Le maire exerce ses pouvoirs sous le contrôle du conseil municipal et du préfet. Cette tutelle évolue selon les périodes. Avec le Premier et le Second Empire, le préfet contrôle le maire de façon quasi-systématique, alors que sous les IVe et surtout Ve Républiques, ce contrôle est plutôt exercé par le conseil municipal. Le maire du Consulat, de l'Empire ou de la Restauration fait figure de potentat face à un conseil municipal dont les pouvoirs sont strictement limités. Sous la Restauration, Louis Blanc dénoncera " ce despotisme en petit".
Le maire est le défenseur et le représentant de sa Commune. En cas d’invasion, le maire est l’otage tout désigné. Ainsi dans son Gouvernement de Monsieur Thiers, Jules Simon écrit en 1878 : " un rouage administratif que les Prussiens ne supprimèrent pas, auquel ils tenaient au contraire expressément, c’était l’autorité municipale. On gardait donc le maire, mais en le gardant, on l’accablait de mauvais traitements, on le rendait responsable de tout : impôt non payé, réquisition non effectuée, faute commise par un enfant… ".
En 1871, à Neuville-lès-This, près de Charleville dans les Ardennes, le vieux maire de 76 ans Pierre Guillaume est arrêté par les Prussiens qui exigent de lui qu’il donne le nom d’un de ses administrés qui aurait tiré sur la garde prussienne. Face à son refus de coopérer, le maire est lié par les poignets, attaché à un cheval lancé au trot. On lui place un pistolet de chaque côté de la tête et on s’amuse à lui faire peur. Enfin on le laisse quasi mort après l’avoir roué de coups de bâton sur les reins et les fesses.
II. UN HOMME SOUS TUTELLE :
Le maire n'est pas depuis très longtemps si indépendant par rapport au pouvoir central. Il ne l'est d'ailleurs pas totalement aujourd'hui puisqu'il reste un agent de l'Etat. Mais pendant tout le XIXe siècle, il est considéré plus comme le prolongement du bras de l'Etat que comme le chef de ses administrés. Cela est en partie du à son mode de désignation qui oscillera longtemps entre nomination et élection.
A. Le prolongement de l'action de l'Etat :
1. Le laïc contre le religieux :
Avec la Constitution Civile du Clergé du 12 juillet 1790, le maire a donc reçu de nombreuses attributions qui appartenaient auparavant au curé. Le maire du XIXe, qu'il soit maire sous Napoléon, sous la Restauration ou sous la IIIe République, est sans cesse en rivalité avec le curé du village. La laïcisation de l'Etat va renforcer cet antagonisme. Aux débuts de la période révolutionnaire, le curé est bien souvent le seul homme lettré du village. Aux élections communales de février 1790, 1/5 des maires bretons seront d'ailleurs des curés. Mais avec la volonté d'imposer le temporel au spirituel, il revient aux préfets la charge de trouver des hommes laïcs pour assurer la fonction de maire. Dans leurs nombreux rapports au ministre de l'Intérieur, les préfets se plaignent de ne pas trouver le personnel qualifié pour assurer une telle fonction. On décide donc de prendre le moins bête ou le moins ignorant.
Le Directoire réplique à la contre-révolution par une politique laïque. La loi du 9 septembre 1798 instaure le culte du décadi. Au terme de chaque décade du calendrier révolutionnaire, le maire rassemble les habitants sur la place, lit les lois, annonce les nouvelles, mentionne les naissances et les décès, prononce un sermon civique et célèbre les mariages. La substitution au prêtre est évidente.
Le Concordat de Napoléon va avoir une conséquence pratique au niveau communal. Les ecclésiastiques vont à nouveau jouer un certain rôle, même si c’est de courte durée. Les évêques vont prendre l’habitude d’intervenir dans la nomination des maires. A Saint-Tropez, petit port de pêche varois, le maire est opposé au curé. L’évêque d’Aix intervient et obtient ainsi la destitution du maire et son remplacement.
Avec la Loi Guizot sur l'enseignement primaire du 18 juin 1833, la politique de laïcisation est relancée dans les communes. Les maires doivent absolument créer une école primaire dans leur commune. En 1832 10.400 communes ne disposent pas d’une école, contre 3200 en 1847. C’est dire si les maires se sont affairés. L'enseignement doit même échapper aux ecclésiastiques. Le maire doit trouver une salle destinée à faire la classe ainsi qu'un logement pour l'instituteur.
Ce besoin va de paire avec la nécessité de construire des mairies. Pendant longtemps en effet, les réunions du conseil municipal avaient lieu chez le maire. Les registres étaient enfermés chez lui, dans une armoire. Toutefois il faut nuancer l’analyse. La Restauration offre en effet à l’Eglise une petite revanche sur les laïcs. Certains curés vont ainsi refuser de donner les derniers sacrements à ceux qui ont accepté la Révolution. Brimade, répression moralisatrice, tout leur est bon. En Alsace, le maire de Sarre-Union est révoqué par le préfet parce que protestant parce que la majorité de ses administrés est catholique. La liberté de religion va être souvent remise en cause.
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, on assiste donc à la construction des fameuses "écoles-mairies" dont on peut encore voir des traces aujourd'hui. L'édifice se décompose généralement en trois parties : au centre du bâtiment la mairie, les deux ailes abritant l'école des garçons et l'école de filles. La mairie va trôner parfois en rivale de l'église, sur la place du village. Les investissements étant lourds, il est fait appel à la générosité des notables de la communauté. Le maire, généralement un bourgeois, est invité à mettre la main à la poche pour montrer l'exemple.
2. L'action "politique" du maire :
Le maire doit donc mettre en œuvre au niveau local, la politique décidée par le pouvoir central. Le rôle du maire est très important pour les autorités gouvernementales. C'est par l'action du maire et du conseil municipal que les habitants voient l'orientation du régime. Le pouvoir va donc s'attacher à séduire les maires.
Napoléon Bonaparte et après lui Napoléon III vont décorer de la légion d'honneur de très nombreux maires. Les préfets vont faire miroiter des aides, des subventions, à certains maires. Ces promesses seront parfois tenues : l'Etat aidera financièrement certaines communes pour la réalisation des mairies.
Le pouvoir attend en retour des contreparties. Sous la monarchie de Juillet et sous la République, il s'agira de renforcer la laïcisation de l'Etat. Sous la Restauration on demandera aux maires de se substituer au curé en prônant certaines valeurs morales, d'avoir un comportement paternaliste avec les administrés...
Mais c'est surtout sous les deux Empires que les maires vont jouer un grand rôle politique. On connaît la gravure représentant deux paysans demandant au maire du village " c'est quoi donc un bibiscite ?" et lui de leur répondre " c'est un mot latin qui veut dire oui". Parce que l'organisation des élections fait partie de leurs attributions, les maires vont jouer un grand rôle auprès de la population. Ce rôle ne pouvant être que renforcé en 1848 avec la proclamation du suffrage universel. Passant pour des hommes savants dans la commune on leur demande conseil pour voter. Ils présentent le candidat officiel de l'Empire à leurs administrés, s'amusant à écorcher le nom des autres candidats.
Ce rôle des maires dans les élections ne cessera de croître au fil du temps. Depuis la loi sur les associations de 1901, les maires vont prendre part à de nombreuses associations et vont par la même exercer une influence non négligeable. On connaît aujourd'hui encore le rôle des maires dans les petites communes : dîners des anciens combattants, tournoi de belote du club du troisième âge et visites dans les hospices et les maisons de retraite le jour des élections.
On comprend donc l'importance pour le pouvoir de disposer d'un personnel communal qui lui soit fidèle.
Mais le maire n'étant pas le préfet, il est en relation permanente avec les administrés qui exercent sur lui une certaine pression. Pour cette raison, le mode de désignation des maires a longtemps oscillé entre nomination et élection.
B. Entre nomination et élection :
1. Les avantages de la nomination :
Il ne faut pas aller chercher très loin les avantages tirés par le pouvoir central dans la possibilité de procéder à la nomination des maires. Un maire nommé, c'est un maire à la botte du pouvoir. C'est un maire dont on est sûr que sa "couleur politique" n'est pas à l'opposé de celle de Paris. Les préfets, personnel mobile par excellence, ont donc pour charge de trouver le maire en fonction du régime. Tantôt royaliste, tantôt républicain, parfois bonapartiste. Le maire, tant qu'il est nommé devra donc prêter serment de fidélité à l'Empereur, au roi, au prince-président ou au maréchal Pétain.
Qui dit nomination dit aussi révocation. A chaque changement de régime correspond une révocation et donc une épuration du corps municipal. La révocation est un pouvoir discrétionnaire sous le Premier et le Second Empire. Elle se fait sur avis du Conseil d'Etat sous la Deuxième République, par décret motivé depuis 1884 et par décret en Conseil des ministres depuis 1982. Les motifs sont donc généralement politiques. Sauf circonstances exceptionnelles, telles que la révocation des maires communistes en 1939 et l'éviction des maires "vichyssois" en 1944, les motifs d'ordre politique ne sont plus suffisants pour la révocation des maires.
Il ne faut d'ailleurs pas imaginer le renouvellement des maires dans une vision administrative à l'américaine. On est loin du "spoiling system". De nombreux maires, pourtant nommés, vont exercer leurs fonctions sous différents régimes.
La monarchie de Juillet décide par la loi du 21 mars 1831 que les conseils municipaux seront élus par les contribuables les plus imposés, mais elle maintient la nomination du maire, choisi parmi les membres du conseil.
La IIe République, par le décret du 3 juillet 1848, dispose que les maires seront désormais élus par les conseils municipaux, eux-mêmes élus au suffrage universel. Exception pour les maires des chefs-lieux d'arrondissement, de département et les villes de 10.000 habitants et plus, qui continueront d'être nommés. André Chandernagor cite une lettre du ministre de l'Intérieur Sénard, le 1er août 1848, adressée aux préfets : "l'article 10 du décret vous conférant le droit de prononcer la suspension provisoire ou définitive et de demander la révocation des maires, n'hésitez jamais à en user."
Avec le Second Empire, l'élection des conseillers municipaux est maintenue, mais tous les maires sont à nouveau nommés soit par le chef de l'Etat, pour les chefs-lieux et les villes de plus de 3000 habitants, soit par le préfet pour les autres (décret du 7 juillet 1852 ). De surcroît, les maires ne sont plus forcément choisis parmi les membres du conseil municipal. C'est le retour à l'an VIII. Thiers dit alors " un agent destituable à volonté, comme un sous-préfet ; pis qu'un sous-préfet, un sous-sous-préfet. Le maire, aujourd'hui est le plus dépendant des fonctionnaires." Mais l'impopularité des maires choisis hors des conseils est telle qu'une circulaire demandera en 1865 aux préfets de choisir le maire de préférence parmi les conseillers municipaux.
La IIIe République s'installant progressivement, une loi transitoire du 14 avril 1871 décide que les maires seront élus par les conseils municipaux (ce que voulait Odilon Barrot qui présidait la commission chargée de la réforme communale). Mais pour les chefs-lieux et les villes de plus de 20.000 habitants, le maire reste nommé. Pendant 10 ans, le mode de désignation du maire évolue au gré des majorités. Tendance monarchiste, le maire est nommé, tendance républicaine, le maire est élu.
En résumé, de l'an VIII à 1831, sous le Second Empire, puis sous le gouvernement de "l'ordre moral", le choix du pouvoir peut porter sur une personne non-membre du conseil municipal.
Vichy rétablira la nomination des maires, mais aussi des conseillers municipaux dans toutes les communes supérieures à 2000 habitants. Cette parenthèse se referme en 1944 et les maires et conseillers municipaux sont à nouveau élus partout sauf à Paris.
2. L'élection du maire
Mais le maire a ceci de particulier qu'il est pris en tenaille. D'un côté les autorités de l'Etat qui le considèrent avant tout comme un fonctionnaire local, de l'autre la population qui le voit comme son représentant.
Le maire se retrouve donc confronté à un réel problème de légitimité. De qui dépend-il vraiment ? En tant que fonctionnaire nommé, il dépend du préfet ou du chef de l'Etat selon les époques et l'importance de sa ville. En 1692, Louis XIV avait introduit la vénalité de la charge, afin de combler les caisses de l’Etat. Mais le dimanche au sortir de la messe, il est harangué par ses administrés. La pression populaire a donc contribué à faire admettre le principe de l'élection pour la désignation du premier magistrat de la ville. Guizot y était fortement opposé durant la monarchie de Juillet. Un maire élu par ses concitoyens, explique-t-il à ses collègues députés, c'est un maire qui risque d'échapper à la tutelle de l'Etat.
Mais le 28 mars 1882, la grande loi sur l'organisation municipale (qui nous régit encore ) est votée, et le maire est définitivement élu par le conseil municipal. Afin d'éclairer le choix des électeurs, il est convenu que la tête de liste aux élections municipales sera normalement la personne que les futurs conseillers municipaux choisiront pour maire. Le pouvoir central va alors constater que Guizot avait raison. Le maire ne dépendant plus pour son renouvellement à la tête de la ville, que de ses électeurs, il va se faire un défenseur de plus en plus zélé des intérêts locaux. Pour Maurice Aghulon, c'est à cette époque que l'on peut dater les premières tournées offertes par le maire à ses administrés dans les bistrots.
Le maire allait devenir un notable, renforcé dans sa légitimité grâce à l'onction du suffrage universel.
Etre maire, une corvée ?
C'est effectivement la question que l'on peut se poser aux vues du peu d'engouement des hommes pressentis pour être nommés maires. Pour André Chandernagor, le maire est un "notable contraint".
Les préfets se plaignent dans leurs rapports au ministre de l'Intérieur, du peu de candidats pour cette fonction, et du nombre important des refus émis à la suite de leur nomination. La fonction d'édile local est-elle si repoussante?
Il faut souligner que depuis la loi du 9 mai 1855, il existe des incompatibilités entre certaines activités et le mandat de maire. Membres du corps préfectoral, magistrats des cours et tribunaux, ministres des cultes, militaires et employés des armées, ingénieurs des Ponts et des Mines, agents et employés des administrations des finances et des forêts, agents de police, instituteurs, agents communaux etc. Des pétitions visent à l'étendre aux médecins, avocats, notaires et aubergistes, bref des professions qui commencent à jouir d'un certain impact. L'article L-122-8 du Code des communes, actuellement en vigueur, restreint cette incompatibilité aux seuls employés des administrations financières, aux agents de forêts et aux gardes des établissements publics.
Pour être maire, il faut être un minimum instruit. Or, dans la première partie du XIXe siècle, ce n'est pas le cas de la majeure partie de la population. La fonction est donc d'emblée réservée à des privilégiés, mais c'est ce qu'a toujours souhaité le pouvoir. Tout d'abord, il faut savoir que la fonction est gratuite. Aucune indemnité n'est en effet prévue. Il faudra attendre 1884 pour que des indemnités puissent être envisagées pour les maires des grandes villes comme Lyon et Marseille. Certes, le maire peut bénéficier de frais de représentation, mais ceux-ci étant décidés par le conseil municipal, et pris sur les deniers de la commune, ils sont forcément limités.
Pour être maire il faut donc être riche et libre de toute activité. Les grands propriétaires et les aristocrates semblent donc tous désignés pour exercer cette charge. Mais voilà, ceux-là ont d'autres préoccupations. Le mandat de maire ne les attire pas. Ils ne veulent pas être des fonctionnaires... au mandat de maire, ils préfèrent celui beaucoup plus honorable de député ou de pair.
L'habit du maire: Machiavel disait que le pouvoir devait se donner à voir. Le costume serait-il un moyen d'honorer le maire et de rendre un peu plus prestigieuse la fonction ? En tous les cas se sont les maires qui vont exiger ce signe distinctif des conseillers municipaux. La loi du 19 avril 1790 dote les maires d’une écharpe tricolore, attachée d’un nœud et ornée d’une frange de couleur d’or pour le maire, blanche pour les adjoints.
Bonaparte assimile l’administration à l’armée. Aussi, l’arrêté du 17 floréal an VII ( 16 mai 1801 ) impose aux maires un uniforme. Mais pour somptueux qu'il soit, l'achat du costume est aux seuls frais du maire, et il coûte relativement cher. Aussi décide-t-on de ne le rendre obligatoire que pour les maires de communes de plus de 5000 habitants. Avec la Restauration, l’habit reste le même, mais le lys remplace l’aigle sur les boutons du costume et l’on change aussi la broderie. La ceinture devient blanche. Avec la IIe République, c’est un retour à l’écharpe tricolore, encore de mise aujourd’hui.
Le décret du 22 novembre 1852 autorise les maires à posséder un insigne : " sur un fond d’émail bleu, blanc, rouge, portant " Maire " sur le blanc et RF sur le bleu, entouré de deux rameaux de sinopole, d’olivier à dextre et de chêne à senestre, le tout brochant sur un faisceau de licteur d’argent sommé d’une tête de coq d’or. "
Afin de renforcer l'autorité du maire, on décide de lui donner la possibilité de se doter d'une garde nationale locale, l'équivalent de notre police municipale actuelle, rapidement baptisée "la milice bourgeoise". Cette milice va subsister jusqu'en 1851, voire jusqu'en 1871. Mais le maire a des difficultés à rassembler des hommes qui n'ont que pour seul revenu les honneurs de la municipalité les jours de fête.
Portrait du maire
Face à cette charge, plus qu'à cet honneur, les maires vont souvent être choisis dans la petite aristocratie locale ou la petite bourgeoisie. Mais trouver un volontaire pour occuper cette fonction n’est pas chose facile. Le 13 novembre 1795, le commissaire du Directoire près la municipalité de Wazemmes écrit " le refus d’accepter les fonctions administratives se propage dans les campagnes ". Dix jours plus tard, les officiers municipaux récemment élus à Lille refusent de remplir les fonctions auxquelles ils ont été appelés.
Quel est le profil des maires ? Un certain Moleri en 1848 dresse leur portrait dans son livre Les Français peints par eux-mêmes. Trois maires sont à distinguer : celui des localités isolées et misérables où le maire est inoffensif et oublié. Celui des environs de Paris, un notable absentéiste et distant qui réside seulement en été dans sa commune. Le troisième type, le plus répandu, est celui qui possède la plus belle maison du village parce qu’il est le plus riche. C’est un homme simple, affichant des idées de progrès mais aux vues étroites.
Qui sont donc ces maires ? D’abord ce sont en majorité ( et uniquement jusqu’en 1945) des hommes. 1% des maires seront des mairesses en 1954, contre 2 % en 1966 et 4% actuellement. Ce sont des hommes d’âge mûr. Au XIXe , ils dégagent une image paternelle. Ce sont des hommes du pays.
L’origine sociale est diverse et évolue avec les périodes. Sous le Directoire et le Consulat, les maires sont des nobles. Sous l’Empire ce sont plutôt de grands propriétaires fonciers. Sous la Restauration, c’est le type " Monsieur de Rênal " qui prévaut : aristocrate, antibonapartiste, antilibéral. Bien souvent ce sont des hommes de loi et de plus en plus des industriels. Ce sont des hommes enrichis, selon les conseils de Guizot. Le Second Empire est plus éclectique dans ses choix. Ce qui importe, c’est la fidélité. Il fait toutefois appel en priorité aux médecins, de part la grande audience dont ils commencent à jouir.
A partir de 1882 et la fin de la nomination des maires, on voit apparaître à la tête des municipalités, des républicains, des radicaux puis des socialistes et des communistes. Les élections aboutissent donc à une démocratisation de la fonction : plus de fonctionnaires ou d’anciens fonctionnaires, plus d’agriculteurs également, surtout dans les petits villages.
Maire des villes et maires des champs. La différence prend forme sous le Second Empire. Le maire rural va progressivement tomber dans un état d’insignifiance. Il est englobé dans le mépris qui commence à s’attacher à la campagne, alors que l’industrialisation et l’urbanisation s’accélèrent.
Malgré cela, le mandat municipal va progressivement accéder à la notabilité. Cette évolution est en marche avec l'industrialisation du pays. De plus en plus, des industriels, des négociants vont devenir maires. Il convient d'ailleurs de relativiser l'importance des professions libérales (médecins, avocats, notaires) dans la conquête du pouvoir municipal. Ce sont surtout les négociants, les gros bourgeois qui vont trouver un intérêt dans le mandat de maire. Ils y voient un moyen de gravir l'échelle sociale. Le mandat de maire, comme celui de conseiller général, est le moyen de réaliser au plan social, leur réussite au plan économique. La mairie devient l'achèvement de leur carrière. Si l'on assiste à la naissance de dynasties commerçantes et industrielles, il en va de même à la tête des mairies. Le fils succède souvent à son père, à la tête de l'entreprise et à la tête de la commune. On parle alors de règne de telle ou telle famille.
La fonction de maire va donc être redorée avec la révolution industrielle. Les autorités vont être amenées à réagir face à la démocratisation de la fonction. Il s'agit d'avoir des élus compétents à la tête des communes, et ce n'est pas évident face au développement des responsabilités et des tâches du maire.
1. Des pouvoirs accrus :
Les maires vont voir leur domaine d'action s'élargir progressivement. Avec la Révolution et la Constitution Civile de Clergé, ils héritent des attributions du curé. Avec la monarchie de Juillet ils ont une responsabilité accrue dans l'enseignement primaire. Avec les deux guerres mondiales, ils doivent désormais annoncer la disparition des combattants aux familles, remplaçant ici à nouveau le curé.
Les Trente Glorieuses s'accompagnent d'une intervention progressive de l'Etat dans l'économie, c'est l'Etat-Providence. Les communes aussi vont devoir suivre l'évolution. Le maire participe au remembrement, à l'édification des monuments aux morts. Un nouveau domaine d'action s'ouvre à lui : le terrain social. Il va devoir participer aux diverses commissions d'attribution de l'aide sociale : RMI, chômage, assistance publique. Il va prendre part aux conseils d'administration des hôpitaux, des écoles. Pour mieux gérer sa commune et réaliser des investissements lourds, il va s'allier à ses voisins par le biais des SIVOM, des SIVU ou encore, depuis 1992 des Communautés de Communes.
Les abus, une maladie contemporaine ? Le vol, l'escroquerie ou la vanité ne sont pas des maladies modernes. André Chandernagor et Jocelyne George citent de nombreux rapports de préfets informant le pouvoir de certaines dérives dans la gestion des mairies. Certains ont en effet tendance à confondre leur bourse avec celle de leurs administrés. Sous le Second Empire, la tendance préfectorale est d'ailleurs à la demande de démission adressée discrètement au maire, plus qu'à la destitution pour faux, corruption ou concussion. L'article 175 du Code pénal punit de tels actes pour les fonctionnaires ou les officiers publics. La loi du 11 mars 1988 oblige les maires des communes de plus de 30.000 habitants à déclarer la situation de leur patrimoine à l'entrée et à la sortie de leur fonction.
Plus que la malhonnêteté, les maires du milieu du XIXe ont la volonté de marquer leur village, de leur passage à la mairie. La loi du 18 juillet 1837 dispose en son article 11, que les arrêtés du maire sont immédiatement adressés au sous-préfet et que le préfet peut en annuler ou en suspendre l'exécution. Ceci dans le but d'éviter tout excès de pouvoir. La loi de 1884 n'a pas changé ces dispositions. C'est seulement depuis 1982 que les arrêtés du maire sont exécutoires de plein droit.
Mais sous le Second Empire, on assiste un peu partout en France à "l'Haussmannite aigüe". Désireux d'embellir sa ville à la façon du baron Haussmann, le maire de Clermont ( futur Clermont-Ferrand ), Léon de Chazelles va moderniser sa ville de façon fulgurante, et pas toujours dans un esprit d'économie. Les rues sont toutes éclairées et pavées, certaines sont élargies. En quelques années, il fait construire un abattoir, un marché couvert, des fontaines, un musée, une caserne de cavalerie, une nouvelle gare.
2. Le soutien de l'administration
Pour que la fonction soit enfin considérée, il a fallu que l'administration s'investisse profondément. Le mandat de maire s'étant démocratisé, il fallait impérativement offrir la possibilité aux nouveaux maires de connaître aux mieux leurs droits et leurs devoirs. L'évolution a commencé très lentement.
La formation fut d’abord assurée par le biais des revues. Ces périodiques, dont de nombreuses circulaires ministérielles incitent à l'abonnement, permettent aux maires de confronter leur expérience. La monarchie de Juillet a de ce point de vue été féconde. . En 1828, des juristes expliquent les lois nouvellement votées et leurs conséquences pratique au plan municipal dans le Journal des communes. Devant le succès, d’autres journaux vont suivre : l’Ecole des communes ou le Journal des progrès administratifs. Des livres sont même publiés : Le Maire de village en 1847, recommandé par le Ministre de l’Intérieur, de même que le Manuel alphabétique, publié en 1801 et retiré en 1805 car épuisé rapidement.
Ce Manuel alphabétique indique aux maires où il faut apposer le cachet, si visa du sous-préfet est nécessaire, quel papier timbré il convient d’utiliser…Le plus amusant reste, sans doute, La Mairie pratique, publiée en 1836. C’est un " dictionnaire des formules, au nombre de plus de 1000 ". A chaque cas en correspond une, que le maire n’a plus qu’à reproduire en remplissant les blancs. Toutes les éventualités sont prévues, du procès verbal en cas de feu de cheminée à celui du feu ordinaire de chambre ou de grand incendie. Le maire, grâce à ce manuel peut même verbaliser un administré lançant " un aérostat garni d’artifices ou de matières combustibles enflammées "…
Les maires, conscients de leur importance vont décider de se regrouper au sein d'associations, afin de faire entendre leurs opinions. Dès 1892 des élus guesdistes fondent la Fédération des conseillers municipaux socialistes de France. En 1907, 28 des 54 maires de villes de plus de 35.000 habitants se réunissent en un premier congrès des maires de France qui s’élargit vite aux communes de plus de 6.000 habitants. En 1908, l’association nationale des maires de France et d’Algérie voit le jour. En 1910 est fondé le groupe des députés-maires à la Chambre. En octobre 1925 naît l’Association nationale des maires de France qui existe encore aujourd’hui.
Sous la IIIe République on commence à voir des maires accéder à la célébrité. Emile Loubet était encore maire avant de parvenir à la présidence de la République en 1899. Pierre Laval était maire d’Auberviliers, Pierre-Etienne Flandin de Domecy-sur-Cure, Georges Mandel à Soulac en Gironde. La IVe et la Ve République vont voir le triomphe des députés-maires. Nombre de nos Premiers ministres ont exercé ce mandat : Cresson à Chatelleraut, Beregovoy à Nevers, Juppé dans le XVIIIe à Paris, Rocard à Conflans-Sainte-Honorine, Mauroy à Lille,. Les présidents de la République ne sont pas en reste : Mitterrand à Château-Chinon, Chirac à Paris, Giscard d'Estaing à Chamalières. Le mandat de maire pour les députés et les sénateurs est le symbole de l'attache au terroir, à la réalité de la vie locale...Gambetta ne parlait-il pas du Sénat en tant que "Grand Conseil des Communes de France" ?
La loi communale votée en 1884 a été maintenue jusqu'à aujourd'hui, même si elle a connu de profonds aménagements. Le 3 février 1992, a réglé la situation des maires par rapport à une activité professionnelle en créant un véritable statut de l’élu municipal. La loi impose en effet aux employeurs le devoir d'accepter l'absence répétée et prolongée des employés ayant une fonction municipale, afin de leur permettre d'assister à des commissions. Cette même loi a créé un droit à la formation pour les maires et règle donc l'absentéisme de ceux-ci à leur travail. La loi autorise aussi les entreprises à baisser au-delà d'un certain nombre d'heures d'absence, le salaire de l'employé-maire, tout en garantissant à ces maires une compensation versée par la commune ainsi que la non prise en compte de ces absences au travail dans le calcul des jours de vacances.
Mais la tâche des maires est parfois très accaparante, surtout dans les grandes communes. Aussi, certains préfèrent abandonner leur activité pour se consacrer uniquement à la gestion de la municipalité. Cette loi de 1992 prévoit donc des aménagements quant à la retraite ou à l'affiliation aux Caisses de la Sécurité Sociale, pour ceux qui désirent exercer uniquement ce mandat local.
CONCLUSION :
L'étude de l'histoire des Maires en France est passionnante, parce qu'elle permet d'entrevoir l'impact au niveau local, des décisions prises au niveau national. Ainsi, les changements de régimes, qui marquent des ruptures nettes dans notre histoire constitutionnelle n'ont pas forcément la même ampleur dans les communes.
L'accession du mandat municipal à la notoriété n'a donc pas été de soi. C'est l'élection du maire au suffrage universel indirect qui consacre la fonction. Aujourd'hui, si les Français montrent un certain dégoût par rapport à la politique, ils restent très attachés à leur maire, le personnage politique le plus proche et le plus accessible, dumoins dans les communes les moins grandes.
L'élection du maire dans ces petites communes échappe bien souvent à toute analyse en terme de couleur politique. L'élection s'y fait rarement sur l'étiquette. On vote d'abord pour l'homme, pour son action, son bilan ou ses projets. Même si certains candidats se livrent parfois à de véritables guerres durant les campagnes électorales, l'élection municipale demeure par excellence l'élection de proximité.
Il y a en France 36500 maires, à la tête de 36500 communes. La France reste le pays en Europe où le nombre d'agglomérations est le plus important. Les tentatives pour fondre des villages en un seul, ont été vaines.
Durant le dernier congrès de l'Association des maires de France qui s'est tenu récemment, il a été souligné la nouvelle perte de considération dont était frappée le mandat de maire. Les responsabilités incombant aux maires allant crescendo, une enquête a montré qu'environ la moitié des maires actuels n'envisageaient pas de se représenter. La fonction est donc confrontée à un nouveau défi.
Références biographiques
André Chandernagor, Histoire des maires - XVIIIe, XIXe
siècles
Jocelyne George, Les maires de 1789 à 1940
Revue Pouvoirs , Les maires - 1983 n° 24
Ministère de l'Intérieur, Guide du maire
Georges-Daniel Marillia, Les pouvoirs du maire
Maurice Agulhon, Les maires du Consulat à nos jours
Histoire des élections municipales à Bouliac
L'organisation communale a été mise en place au moment de la Révolution de 1789 par un décret du 14 décembre qui prévoyait un corps municipal de trois à vingt membres (selon la population), élu par les citoyens actifs au suffrage direct et au scrutin de liste pour deux ans. Le maire, membre du corps municipal, était élu directement par la population. Elus en 1790 ces organes se dégradèrent vite dans le processus révolutionnaire. La Révolution n'avait posé que des principes mais avait été incapable de créer un système efficace et durable.
Il fallut attendre la Révolution de 1848 pour qu'une loi du 3 juillet institue le suffrage universel pour l'élection des conseils municipaux qui élisaient en leur sein les maires mais dès 1852, on revint à la nomination des maires. C'est en fait la loi du 5 avril 1884, vrai tournant démocratique, qui constitua une véritable charte de l'organisation municipale dont de multiples éléments perdurent aujourd'hui : les conseils municipaux sont élus au suffrage universel et ils élisent en leur sein un maire et ses adjoints.
Les archives municipales concernant la période 1789-1837 n'étant pas déposées à la mairie , la recherche des informations concernant ces élections sera faite ultérieurement aux Archives Départementales de la Gironde. Fort heureusement, l'histoire des élections municipales de Tresses, une de nos communes mitoyennes, a été publiée de façon très détaillée. Cette histoire tressoise nous servira donc de fil conducteur pour Bouliac, en attendant une "vraie" histoire bouliacaise.
A la fin de 1789, la loi détermina la création dans chaque ville, bourg et paroisse d'une municipalité comprenant : le Maire, les Officiers municipaux et un Procureur chargé de requérir l'application de la loi et d'en rendre compte au pouvoir public. Ce conseil comportait également des notables en nombre double des autres membres. Ils se joignaient à eux en «Conseil Général» pour les affaires importantes. Ces conseils étaient élus pour deux ans et renouvelés pour moitié chaque année. Les citoyens furent divisés en trois catégories : passifs, actifs et éligibles. En 1790, Tresses comptait 620 habitants dont 120 citoyens actifs et 100 citoyens éligibles. En février, ces Tressois désignèrent la première municipalité en plaçant, comme dans bien d’autres communes rurales, le curé de la paroisse, Jean-François Romain Dupuch au poste de maire.
La première municipalité de Tresses, dans le canton de Pompignac, avait donc la composition suivante : le maire, Jean-François Romain Dupuch, curé de Tresses depuis 1783, élu pour deux ans et cinq officiers municipaux : Raymond Sarpaud cultivateur, Jean Cazimajou, dit «Lami» de Mélac (il avait été élu député aux États Généraux de la Sénéchaussée), Jean Faupier, boulanger (également élu en mars 1789), Pierre Rives (Aimé) cultivateur qui habite sur le grand chemin (de Branne), Pierre Maubilas, forgeron, ainsi que le Procureur de la commune : Lahire. S’y ajoutaient 12 notables :Jean Mouchet, Jean Perrotin, Jacques Lafourcade, Bernard Lapaillerie, Jean Rambaud de Jolibois, Vincent Desse de Lescalet, Raymond Gadeuil, Bertrand Clemens (laboureur à Fénelon), Pierre Audinau du Landais, Jean Lafon, Raymond Bonnin, Jean Michel.
L'assemblée constituante décida que chaque département serait administré par un conseil général de 36 membres élus pour deux ans, renouvelable par moitié chaque année. À cette occasion, deux Tressois furent désignés pour participer à une première élection : Pierre Rives fils et Jean Cazimajou de Mélac.
A Bordeaux, comme dans tout le pays, le premier 14 juillet fut fêté sur le modèle parisien de la «Fédération» et Tresses désigna cinq députés à la Fédération de Bordeaux. Ce jour-là, le Maire et Curé Dupuch rédigea un acte de naissance : «Le 14 juillet 1790 jour de la fédération est né, et a été baptisé Jean, fils naturel et légitime de Léonard Audebard»
Un document des archives départementales permet de faire le point sur la population, les impositions et la situation économique en 1790. Tresses comptait une population totale de 620 âmes, dont 120 citoyens actifs payant au moins trois journées de travail, 100 citoyens éligibles aux municipalités, districts et département payant au moins dix journées de travail. Les registres des baptêmes, mariages et sépultures de la paroisse complètent ces renseignements avec : 13 naissances, trois mariages, 14 décès : dont cinq enfants de 18 mois à 13 ans. La garde nationale de Tresses, installée en 1789, comprend deux compagnies soit 120 hommes sous les ordres de Jean Bourges qui en est le Colonel.
...A partir de novembre 1790, tous les prêtres chargés d'un culte public prêtèrent serment à la Constitution Civile. Jean-François Romain Dupuch, curé et maire de Tresses prêta serment et le confirma par une lettre du 26 mars 1791.
En novembre 1789, les biens ecclésiastiques avaient été mis à la disposition de la nation. Étaient concernés : les Religieuses de Notre-Dame de Bordeaux pour une métairie, aux «Videaux», à Tresses (valeur estimée à 11 860 livres), le Collège Saint-Raphaël de Bordeaux (petit séminaire) pour leur bien de campagne au «Bourdieu du Collège» à Tresses (d'une valeur de 2 500 livres), la « Fabrique » de Tresses formée de l’ensemble de personnes choisies parmi les notables de la paroisse pour administrer les intérêts de celle-ci, le Curé (et Maire) Jean-François Romain Dupuch (biens estimés 800 livres).
Après la condamnation pontificale de Pie VI en mars 1791, Jean-François Romain Dupuch, curé constitutionnel et maire, se rétracta et quitta ses fonctions en avril 1791 causant par cette attitude une profonde émotion dans la commune. Il fut arrêté le 17 juillet 1792 (il reviendra à Tresses en 1800 et mourra en 1817). Le nouveau curé Dubruel s'installa à fin avril 1791, nommé par l'assemblée électorale du district de Bordeaux. Il prêta serment en présence de Emé Gueu et Jean Cazimajou, et en décembre 1791, il clôtura un registre d'état-civil en utilisant la formule révolutionnaire : « Vivre libre ou mourir. »
Une nouvelle municipalité fut installée en novembre 1791 sous la direction de Jean-Pierre Balguerie, propriétaire du domaine de Palot. À Tresses, cette même année 1791, la fuite des émigrés se poursuivant, des biens nationaux de deuxième origine furent vendus : le château de Fontenille et ses terres à Mélac (estimation 61 500 livres) appartenant à dame Louise Devalon veuve Calmeil émigrée avec ses fils, la propriété Delbos-Laborde et Madronet Saint Eugene. Les biens de M. Pierre Fabre négociant «Présumé d'émigration » et dame de Beynette Marguerite, fille de M. Jean de Senailhac épouse d'émigré, ne seront finalement pas vendus.
L'abolition de la royauté fut proclamée le 21 septembre 1792 et fit place à la Première République. Le lendemain 22, il est décidé de dater les actes publics de l'an I de la République. Le 8 octobre, les citoyens de la commune de Tresses écrivaient à la Convention pour exprimer leur adhésion à l'abolition de la royauté. Par ailleurs les registres religieux de Tresses sont clôturés le 25 novembre 1792 et le curé Dubruel, membre de la municipalité, est chargé de recevoir les actes destinés à contrôler les naissances, les décès et les mariages des citoyens en qualité d'officier public et non de curé de la paroisse. À Tresses, comme dans l'ensemble de la nation, la situation économique se détériorait. Répondant à une demande «pour faire la balance des consommations avec le produit du sol», Jean-Pierre Balguerie, le nouveau maire, donnait des précisions en juillet 1792 sur la récolte de «Bled» : «Cette année, on a semé dans la paroisse 600 boisseaux pour en recueillir 2 400… La consommation nécessaire étant de 3 384 boisseaux pour les habitants, la récolte est insuffisante ; il faut considérer que les terres de Tresses sont si mauvaises qu'on doit regarder que souvent il y en a qui ne produise pas au-dessus de la semence… »
Le 23 décembre 1792, un nouveau conseil général (terme utilisé à cette époque) est installé à la maison commune de Tresses. Après deux notables élus depuis 1790, c'est maintenant un cultivateur, Emé Gueu de Mélac, qui accède au poste de Maire. Sur les vingt membres de cette nouvelle assemblée municipale, neuf savent lire et écrire : il y a 10 cultivateurs (ou «paysans» suivant les textes), 3 vignerons, 1 laboureur, 1 forgeron, 1 boulanger, 1 charpentier, 1 voiturier, 1 négociant, 1 courtier.
En 1793, lorsqu’il s’agit de lever des volontaires pour combattre aux frontières, nul ne se porta candidat à Tresses. C’est par le vote que fut désigné Jean-Baptiste Guibert, « natif de l'îsle d'Oléron », un « étranger » à la commune. Mais ce dernier se fit exempter par le médecin.
Le 15 Thermidor (2 août 1794), apprenant la chute de Robespierre, la municipalité rédigea à l'intention de la Convention une adresse pour la féliciter d'avoir débarrassé la République des monstres qui voulaient lui ravir la liberté. L'hiver fut très rude à Tresses en cette fin d'année 1794. On pouvait traverser la Garonne sur la glace à Rions en janvier et les vignes gelèrent à Tresses comme dans beaucoup de communes girondines.
En l'an VIII, sous le Consulat (1800), une municipalité s'installa à nouveau à Tresses avec à sa tête Jean-Jacques Daguzan qui habitait à Mélac et à Bordeaux
Renouvellement triennal des conseils municipaux en 1837 à Bouliac
Reproduction intégrale du procès verbal du premier tour de scrutin
"L'an 1837, le 21 du mois de Mai, dix heures du matin, en la salle de
l'administration municipale, se sont réunis en vertu de l' arrêté de convocation
de Monsieur le Préfet de la Gironde, en date du 15 Avril dernier, les électeurs
municipaux de la Commune de Bouillac (sic) à l'effet d'élire six conseillers
municipaux en remplacement de la moitié du conseil municipal sortant au
renouvellement de 1837. Conformément aux dispositions des articles 17 et 53 de
la loi du 21 Mars 1831.
Monsieur le Maire président de l'assemblée se place au bureau et déclare la
séance ouverte. Il donne immédiatement lecture des articles 9. 10. 15. 16. 17.
18. 20. 43 et 52 de la loi du 21 Mars et dépose sur le bureau la liste préparée
pour recevoir l'inscription des électeurs sortans (sic).
Il
appelle ensuite, pour remplir les fonctions de scrutateurs, les deux plus âgés
et les deux plus jeunes électeurs présents sachant lire et écrire prennent place
au bureau en ladite qualité. Messieurs Laumet Pierre né le 10 Avril 1772.
Lestrade Joseph né le 25 Juillet 1763. Guillaume Castagnet né le 15 Février
1800. Boussion Jean né le 12 Juillet 1709 (sic, il aurait donc 128 ans !!!).
Le président et les scrutateurs nomment aussitôt un secrétaire Monsieur
Bordelais aîné né le 6 Avril 1802. Electeur de l' assemblée qui vient se placer
immédiatement au bureau et ouvre le présent procès-verbal.
Le président fait connaître aux électeurs qu'ils ont six conseillers municipaux
à élire.
Il leur fait observer que leurs suffrages ne peuvent porter que sur des citoyens
inscrits sur la liste des électeurs de la commune et âgés de 25 ans accomplis.
qu'aux termes de l'art. 16 les deux tiers des conseillers municipaux doivent
être nécessairement choisis parmi les électeurs censitaires, que dès lors deux
conseillers non censitaires faisant déjà partie de la moitié restante du conseil
municipal les électeurs ne peuvent en nommer que deux dans les limites fixées
par le dit article 16.
Il leur fait aussi remarquer que la commune de Bouillac (sic) ayant une
population de plus de cinq cent âmes, les parens(sic) et alliés au degré de
pères, fils, frères ne peuvent être à la fois membres du conseil municipal.
Il appelle aussi leur attention sur les incompatibilités indiquées par l'art.
18.
Le président déclare le premier scrutin ouvert et constate qu' il est une heure.
Il annonce que l'appel des électeurs va commencer et que chaque bulletin devra
contenir six noms nombre égal à celui des conseillers à élire.
L'appel a lieu quinze électeurs se succèdent ; à tois heures un rappel a été
fait inutilement. Le nombre des électeurs présents étant le même, n'ayant point
d'espoir d'avoir la majorité
Le bureau délibérant est d'avis de renvoyer la séance au 21 du courant jour de
dimanche et d'en prévenir à domicile tous les électeurs.
Le président est chargé de transmettre à Monsieur le Préfet de la Gironde la
présente délibération.
Les signatures du maire Joyeux et des
cinq membres du bureau.
Le deuxième tour se déroule
comme le précédent mais les électeurs qui votent pour la première fois prêtent
le serment suivant : "Je jure fidélité au roi des français, obéissance à la
charte constitutionnelle et aux lois du royaume."
Ce deuxième tour a déplacé 31 électeurs et le maire a déclaré les résultats
suivant : Messieurs Laumet Pierre vingt cinq suffrages Castanet Guillaume vingt
deux Michel Claude Girard dix sept Bordelais aîné Jean dix-sept Peyron Jean
seize Boussion Jean dix Gaillard Arnaud neuf Daval Jean neuf Galoupeau
Jean neuf de Vigneras J.B. neuf Bouluguet Jean huit Sermensan Pascal cinq Dupuch
J.B. cinq Labecot Pierre quatre Godefroy Victor quatre Estribaut Jean quatre
Pâté Pierre trois Buhan aîné trois Videau Arnaud trois Rieu Auguste deux Soupire
Matthieu deux Belligni Charles deux St Amand aîné deux Chaperon aîné deux Martin
Génézi deux Béchade Simon deux Clausure Jean une Mourigué Pierre une Fayet une
et Solar Moïse une."
La majorité étant acquise, le président proclame membres du conseil municipal :
Messieurs Laumet Pierre, Castanet Guillaume, Michel Claude Girard,
Bordelais aîné Jean, Peyron Jean et Boussion Jean.
Le document ci-dessous (29 mai 1837) donne les renseignements personnels sur chacun des membres du nouveau Conseil.
Quelques remarques : 8 propriétaires, 1
boulanger, 1 négociant, 1 marchand et 1 tonnelier.
4 conseillers demeurent à Bordeaux, le plus jeune Boussion a 28 ans et le plus
âgé (Laborde) a 86 ans.
Le boulanger Laumet jouit d'un revenu évalué qui le place en 4ème
position;
Le nombre d'enfants est relativement faible : 3 conseillers sont sans enfant et
le nombre le plus élevé est 4.
3 avril 1842
Les électeurs doivent élire les remplaçants de deux conseillers décédés
(Pichard père, Laclaverie) et d'un démissionnaire (Berthomieux). Les vingt et un
votants ont désignés : M. de Golleville Romain (15 suffrages), M. Lecorre
Philippe (14 suffrages) et M. Pichard Gustave (12 suffrages).
Le tableau qui suit donne la composition du Conseil le 25 avril 1842.
Le renouvellement triennal des conseillers en 1843 voit, avec 19 votants, l'élection de : Baron Travot (18 suffrages), Bouluguet Bertrand (17 suffrages) et Belligny Arnaud (10 suffrages).
Renseignements personnels sur chacun des membres du Conseil Municipal de la commune le 1er juillet 1843
Liste
des électeurs censitaires le 7 février 1844
Remarque : Au n° 67, on trouve Cazaux Antoine,télégraphier, avec une imposition de 16,48 francs. Ce n'est certainement pas son maigre salaire de télégraphier qui le plaçait ainsi parmi les 68 bouliacais les plus riches de la commune.
Liste des électeurs censitaires le 7 février 1845
Remarque : Le
télégraphier n'est plus électeur !
Le renouvellement de six conseillers le 14 juin 1846, avec 37 bulletins recueillis , donne : M. Galoupeau (37 voix) ( ! ), M. Lecorre (25 voix), M. Peyron (20 voix), M. Buhan Joseph Henri (19 voix), M. Laclaverie (17 voix), M. Cardonnel (15 voix).
Liste des renseignements personnel sur chacun des membres du
conseil le 26 juin 1846
Liste du 31 mars 1847
Remarque : Notre télégraphier Antoine Cazaux réapparaît en 47ème position avec une imposition de 69,02 francs !
Liste des électeurs censitaires du 31 mars 1848
Remarque : La liste comprend 70 électeurs et notre télégraphier Antoine Cazaux passe en 39ème position avec une imposition de 80,56 francs.
Le 7 décembre 1848, le Conseil souligne "que la commune de Bouliac a absolument besoin d'un drapeau..." mais qu'elle n'a pas les moyens d'en acheter un ; ellle demande donc au préfet " de vouloir bien lui en faire distribuer un, prenant l'engagement d'acquitter la dépense à laquelle pourra donner lieu l'envoi dudit drapeau."
Le 6 mars 1853, le conseil se réunit pour prêter sement d'obéissance à la constitution et de fidélité à l'empereur. Les conseillers se lèvent, tour à tour, et prononcent le serment suivant : "Je jure obéissance à la constitution et fidélité à l'empereur."
Liste provisoire des maires de 1790 à2009
J. Sermansan 1797-1804
J. Roux
M. Manieres 1809-1811
Bartélémy Dupuch 1811-1825
Armand Sudreau 1825-1828
M. Joyeux 1829-1839
P. Laumet 1839-1842
M. Bordelais 1842-1846
Le baron Travot 1846-1870
M. Jurine 1870-1871
M. Georges de Buhan 1871-1872
M. Hugla 1872-1878
Jean Ramon 1879-1881
Camille Hostein ...-1895
M. Berliquet
M. Roquillas
M. Turroques
M. Brochard
M. Briat
M. Favroul