Le sentier de l'Ermitage
Sur la carte IGN au 1/ 25 000eme le domaine de Lung, dont parle l'abbé Pareau, se trouve à gauche en descendant (domaine de Bellevue n° 8 sur la carte des maisons et châteaux de Bouliac).
La description de l'abbé Pareau
"Au
pied du clocher, dans la pente abrupte du coteau qui atteint, là, le maximum
de sa hauteur, 70 mètres environ au-dessus du niveau de la mer, se déroule
un sentier dit "de l'Ermitage".
L'ascension en est toujours singulièrement dure pour les pieds rétifs et les
poumons d'haleine courte. Mais, jadis, les jours de pluis et l'hiver, la
descente et l'ascension n'étaient point sans danger de chûte sur certaines
parties à pic et trop glissantes. Pour les rendre plus faciles et sûres,
l'administration Hugla établit sur ces pentes dangereuses des marches
d'escaliers, en 1876. Elles sont au nombre de 183".
Le récit qui suit, de la plume de l'abbé Pareau, nous donne en quelques lignes, des images fort pittoresques de ce sentier, sur certains abus, qui devaient être fort fréquents, et sur l'utilisation du patois local.
"Le
piéton qui s'engage dans l'abrupte sentier peut ... y faire la cabriole, surtout
s'il débarque sur le tard et un peu trop chargé du paquebot "l'Espérance"
...
Un soir d'automne, vers sept heures, je descendais le sentier, appelé
brusquement dans la plaine par un malade. Or, sur le talus du domaine Lung, dans
les ronces, dans les orties et aussi sur les odorants sillages d'une matière
cosmopolite, se débattait un pauvre diable d'ivrogne. " Mais où suis-je ? Mais
ce n'est pas mon lit, ça ! Eh ! Jeannille ! Jeannille !... Mais, tonnerre! je
touche les épines... aîe ! aîe ! Jeannille !... Eh ! fout... des orties encore
!... Où suis-je donc ? Eh ! Jeannille, Jeannille ! Mais c'est un chemin ça ;
tiens, des pierres...aîe ! aîe ! Oh ! oh ! ah !ah ! Tonnerre ! Tonnerre !
Je suis propre ! Ah ! brigand de la ligue de blad ! Et m'en foutey
partout, aous mans, aou nas, aous oeuils . ! Ah ! coquin, canaille ! qui
donc m'a foutu là ? -Qui t'a f..tu là ? Eh ! parbleu, le matelot de l'Espérance,
parce que tu as bu trop d'eau à son bord. -Le matelot, le matelot ...., de
l'eau... de l'eau ! Eh ! Jeannille ! Jeannille ! Mon lit, tonnerre ! Ah ! je m'en
fous partout ! Ah ! brigand ! et je ne touche plus que ça ! Ah ! Jeannille, ma
mie ! Jeannille, Jeannille ! -Laisse-la donc en paix, ta Jeannille, et crève-là,
pauvre pinton. -Crever ! crever ! Ah ! tonnerre non...non...crever ! Mais vous
qui êtes vous donc ? -Je suis personne et je vais chez Meilhan, l'aubergiste du
Marais-Ah ! Meilhan, mon homme, et c'est toi justement que je
cherche...attends-moi, mon ami, attends-moi, nous allons boire un coup.- Tu as
bien assez bu, je m'en vais, adieu; - Non, non, Meilhan, attends-moi ! Eh !
Meilhan ! Meilhan !"
Qui a bu boira.
Ce brave homme - il n'était pas malhonnête - avait bu plus que de raison,
et le nom seul de Meilhan lui donnait l'envie de boire encore".
J'aime
bien le talent de conteur de l'abbé Parreau ! Mais , ici, je trouve qu'il
en prend à son aise avec la réalité : il est, en effet, difficile de croire
qu'"un pauvre diable d'ivrogne", qui devait avoir le gascon comme langue
maternelle, puisse s'exclamer "Mais où suis-je ?... Où suis-je donc ?... Mais
vous qui êtes-vous
donc ?"
Mais ces invraisemblances ne doivent pas nous masquer des détails révélateurs
sur la vie : "le paquebot de l'Espérance" désigne l'auberge de l'Espérance
que nous pouvons actuellement fréquenter, face à l'église ; l'auberge du Marais,
qui se trouve toujours à l'angle de la route de Latresne et du chemin des
Collines était tenue par l'aubergiste Meilhan , et cet aubergiste devait
connaître tous les charretiers qui passaient là, jour et nuit, pour aller à
Tresses, Carignan, Floirac, Latresne ou Cénac.
Dans ce texte, l'expression "la ligue de blad" utilisée par le "pauvre diable"
semble être d'un emploi très fréquent et bien connue par l'abbé puisqu'il
la rapporte après avoir indiqué au début de son récit : "Je raconte et je
n'invente pas". J'ai essayé de retrouver le sens de cette expression : blad
est un terme qui peut désigner le blé dans le midi de la France mais je ne vois
aucun rapport avec ligue. Affaire à suivre...
Le 4 décembre 1870, "le conseil, sur proposition de M. le maire, vote à l'unanimité des remerciements à M. Buhan adjoint dont la générosité vient de munir le sentier de l' hermitage d'une barrière très solidement établie qui mettra désormais les passants à l'abri de dangers imminents."
Ce sentier n'était pas utilisé uniquement par les piétons ! En effet, le 13 août 1870 le conseil apprend par un de ses membres "que des personnes à cheval ont parcouru le sentier... M. le maire dit qu'il fera mettre trois forts piquets en bois en l'entrée pour prévenir le retour de faits semblables."
Le 10 septembre 1876, le conseil approuve les dépenses de réparation du sentier, "457 fr 25 c, y compris le coût des marches (150 environ).
Remarque : Elles sont au nombre de 183" d'après l'abbé Pareau, à qui on peut faire confiance pour la précision de ses informations quantitatives !
Le départ du sentier de l'Ermitage sur la place Chevelaure; à gauche domaine Bellevue |
Sur la gauche : la terrasse du domaine Bellevue ( propriété Lung) |
A gauche, domaine Bellevue. Une grille interdit, actuellement, le passage, à cause d'un éboulement important sur la droite. |
Les marches couvertes de feuilles, à droite un à pic très fort avec glissement de terrain |
Une partie des 183 marches menant à l'auberge du Marais |
En regardant à droite : on voit le chemin des Collines allant vers le Garonne |
La fin du sentier de l'Ermitage, actuellement interdit aux piétons.
En bas : la route Floirac-Latresne à gauche : vers Latresne à droite : vers Floirac |